PALESTINE,
DÉMOCRATIE HUMANISTE ET GÉNOCIDE
Gonzalo
Díaz-Letelier & María Emilia Tijoux
Nos journées sont saturées de silence et
de bruit. Le bruit terrifiant et épuisant des machines de guerre d’extermination,
et leur sillage d’agitation dans les médias et les discours politiques dans les
forums internationaux, le flot de propagande. En parallèle, la censure
prolifère de multiples manières. Non seulement comme acte de réduction au
silence, mais aussi comme silence actif. Nous ne parlons pas du silence
sensible où il n’y a pas de mots pour exprimer l’horreur, mais plutôt du
silence, de ce mutisme bruyant – quand il y a quelque chose à dire et
que, pour une raison quelconque, cela n’est pas dit. Parce qu’il existe de
multiples façons de taire. L’une d’entre elles est de garder le silence.
Cela peut consister à retenir la parole pour ne pas être désigné comme un autre
ennemi. Une autre peut être de rester dans le discours moralisateur qui
fait appel au dispositif de la condamnation pour clore la question, soit
dans l’équivalence de toute violence, soit, à partir des jugements secrets dont
elle est condamnée : la pensabilité politique de la question est fermé sur la
base d’un soutien de principe à, une dénégation de, ou un silence cryptique sur
le génocide.
Dans
les années les plus grises et les plus dures de la dictature civilo-militaire
au Chili, l’attention des médias s’est portée sur les programmes diffusés par
les chaînes de télévision publiques et catholiques : le Festival de la Una
ou le Japenning con Ja étaient regardés dans les foyers, comme si, dans
le pays, la dictature organisant des disparitions et des tortures pendant la
nuit, dans les rues des villes et quartiers (poblaciones), n’existait
pas.
Aujourd’hui, le génocide en Palestine apparaît spectacularisé à travers une
interface médiatique augmentée (avec la propagande « occidentale » prédominante
dans les médias officiels et les atrocités circulant sur les réseaux sociaux et
à la périphérie d’Internet) et, malgré cela, il résonne comme un son sourd
après Netflix, comme si de rien n’était. Désensibilisation due à la profusion
et à la saturation d’images atroces ? Peut-être, à un certain niveau. Mais il
semble que la désensibilisation repose plus profondément sur une naturalisation
des atrocités commises en Palestine, étant donné que la dynamique a été la
normalisation d’un génocide qui n’est pas nouveau et qui dure depuis plusieurs
décennies. Si quelqu’un n’en a pas entendu parler, c’est précisément l’effet
d’une telle naturalisation.
Un
autre de ces silences assourdissants est celui d’une grande partie de l’intelligentsia
des sciences sociales et humaines. La « peur » de parler publiquement ou
d’écrire sur le génocide enveloppe un silence qui peut être non seulement
le résultat d’une prudence scientifique à l’égard de l’objet, ou qui peut être
non seulement le reflet du positionnement craintif des intellectuels dans
un champ où la « critique » est piégée dans la machinerie d’une science sociale
managériale vidée de tout conatus critique. Ce n’est peut-être pas un
silence prudent ou craintif, ce n’est peut-être pas un silence pour éviter la
précipitation d’un jugement insuffisamment informé ou d’une action téméraire,
mais un silence plein de jugements silencieux, voire inaperçus. Au premier
niveau, il peut s’agir d’une suradaptation typique de la bureaucratie de
l’enseignement universitaire, d’« habitudes mentales » qui poussent
l’intellectuel à éluder les questions et les positions difficiles, comme le
décrivait Edward Said il y a quelques années :
Vous ne voulez pas paraître trop
politique ; vous avez peur de paraître controversé ; vous souhaitez
conserver une réputation d’équilibre, d’objectivité et de modération ; votre
espoir est d’être sollicité ou consulté à nouveau, de faire partie d’un conseil
d’administration ou d'un comité prestigieux et ainsi de rester dans le mainstream
le plus responsable ; un jour, vous espérez obtenir un diplôme honorifique, un
grand prix, peut-être même une ambassade. Pour un intellectuel, ces habitudes
mentales sont corruptrices par excellence. S’il y a quelque chose qui peut
dénaturer, neutraliser et finalement tuer une vie intellectuelle passionnée,
c’est bien l’intériorisation de telles habitudes. Je les ai personnellement
rencontrés sur l’une des questions contemporaines les plus difficiles, la
Palestine, où la peur de parler ouvertement de l’une des plus grandes
injustices de l’histoire moderne en a paralysé, aveuglé ou bâillonné plus d’un.
De telles
« habitudes d’esprit » seraient liées au fait de prendre soin de sa propre
carrière universitaire, face aux « abus et à la diffamation que tout défenseur assumé
des droits et de l’autodétermination des Palestiniens s’attire », comme le
décrit Said. Ce qui est en jeu ici, c’est la question que Michel Foucault a
pointée en se référant à la parrhesía, terme
grec qui désigne le courage de « tout dire », de « parler sans réserve » des
choses devant les autres et devant les puissants (devant qui que ce soit, sans
se taire, avec franchise et sans crainte). Mais cela ne veut pas dire que la
chose soit aussi simple que de parler sans crainte ou de se taire par peur.
Quel est l’enjeu, par exemple, quand les intellectuels restent silencieux sur
la Palestine dans un « champ » où l’on parle tant de discours « critiques » sur
la colonisation et la décolonisation (des corps, de la pensée, des
méthodologies, etc.) et où les publications sur l’injustice, la souffrance ou
la pauvreté sont si nombreuses ? Se pourrait-il qu’ils le fassent uniquement
pour ne pas mettre en péril leur position dans le champ universitaire ? Les
termes liés à la « décolonialité » prévalent et circulent comme monnaie
d’échange sur les campus universitaires (des programmes de cours aux
conversations et positions quotidiennes), sauf, bien sûr, lorsqu’il s’agit de
la Palestine. La catégorie, donc, brille par son absence. Que quelque
chose brille par son absence signifie que son absence annonce quelque chose.
Qu’est-ce que l’absence – le silence – symptomatise ou révèle dans ce cas ?
Élisabeth de
Fontenay attire l’attention
sur deux termes qui, au XXe siècle, étaient utilisés pour désigner des
situations de violence sacrificielle : « hécatombe » (sacrifice d’une centaine
de bovins) pour désigner la Première Guerre mondiale, et « holocauste »
(sacrifice d’animaux par crémation, sans laisser de traces) pour désigner les
victimes du génocide du Troisième Reich. Dans l’utilisation de ces termes, on
observe un déplacement de leur sens des animaux vers les humains : puisque les
boucs émissaires sont des humains, le déplacement fait allusion à une «
animalisation » de l’humanité, ou à une « déshumanisation », une réduction de l’humain
à la « vie nue » (homo sacer). Il est donc considéré comme « naturel »
que certains membres de la communauté des êtres vivants doivent être sacrifiés
au nom de la « spiritualisation » de l’humanité en tant que telle. Au nom de
quel esprit est-il perçu que les Palestiniens « meurent » (en tant qu’animaux :
langage naturel) et que les Israéliens sont « assassinés » (en tant que personnes :
catégorie théologique-juridique) ? Pour que le génocide soit naturalisé, les
Gazaouis doivent être animalisés – depuis la particulière différence humain-animal
déterminée en Occident sur une certaine conception maximisée du langage humain
(logos, raison, esprit, technique, histoire, liberté, etc.) par
contraste avec la « nature ». Nous voilà donc face à une question qui se révèle
aujourd’hui avec la plus grande clarté : le racisme moderne est l’envers de
l’humanisme. Si la civilisation occidentale monopolise la norme
anthropologique (définition inclusive/exclusive de l’humain), alors son revers
négatif est l’animalisation des peuples non occidentaux. Omnis determinatio
est negatio (Spinoza, Hegel, Marx). Sionisme, Lebensraum, « destin
manifeste » : si la démocratie humaniste – aujourd'hui, la démocratie
(néo)libérale est considérée comme le Lebensraum – monopolise la
production du monde de la vie (cosmogenèse, anthropogenèse), alors son revers
négatif ou sacrificiel est la nécropolitique et le génocide (production du
monde de la vie comme œuvre de mort – work of death).
L’esprit –
« au nom duquel » les animaux sont sacrifiés – semble se constituer modernement
dans l’équivalence entre signification et valeur : l’axe
euro-nord-américain centré sur l’Atlantique – aujourd’hui au centre d’un
turbulent et difficile réarrangement intra-impérial du capital mondial, avec d’autres
acteurs significatifs –, comme une « démocratie occidentale » (néo)libérale,
militarisée et spectacularisée, promouvant et défendant ses valeurs
sociopolitiques (souveraineté exceptionnaliste et gouvernement économique), ses
valeurs esthétiques (plus ou moins sublimées entre le phénotypique et le
culturel, entre le suprémacisme de la blancheur et l’axiomatique de la blanchité),
le christianisme (plus ou moins sublimé entre l’éthos culturel et l’éthos
coupable), la rationalité technoscientifique et la liberté d’entreprise
capitaliste.
Tels seraient quelques-uns des traits les plus généraux du consensus au
sein duquel évolue l’imaginaire et la gouvernementalité de la démocratie
occidentale, la constitution de sa constitution. Tout cela est bien entendu
présenté comme une lutte pour l’hégémonie mondiale des valeurs. Dans la préface
de 2003 de son livre de 1978, Said écrivait :
Même avec tous ses terribles échecs et
son déplorable dictateur (qui a été en partie créé par la politique américaine
il y a vingt ans), si l’Irak avait été le plus grand exportateur mondial de
bananes ou d’oranges, il n'y aurait sûrement pas eu de guerre, pas d’hystérie
autour des armes de destruction massive mystérieusement disparu, ni le
transport d’une armée, d’une marine et d’une force aérienne massives à 7 000
milles pour détruire un pays à peine connu même des Américains instruits, tout
cela au nom de la « liberté ». Sans le sentiment bien organisé que ces gens
là-bas ne sont pas comme « nous » et n’apprécient pas « nos » valeurs – le
noyau même du dogme orientaliste traditionnel tel que je décris sa création et
sa circulation dans ce livre – il n’y aurait pas eu de guerre. Ainsi, de la
même manière que les savants professionnels payés et enrôlés par les
conquérants hollandais de la Malaisie et de l’Indonésie ; par les armées
britanniques de l’Inde, de la Mésopotamie, de l’Égypte et de l’Afrique de l’Ouest
; et par les armées françaises d’Indochine et d’Afrique du Nord ; les
conseillers américains du Pentagone et de la Maison Blanche l’ont également
fait, utilisant les mêmes clichés, les mêmes stéréotypes dégradants, les mêmes
justifications du pouvoir et de la violence (après tout, dit le chœur, le
pouvoir est le seul langage que ces gens comprennent). Ils ont maintenant été
rejoints en Irak par toute une armée d’entrepreneurs privés et d’hommes
d’affaires enthousiastes à qui on confiera tout, depuis la rédaction des
manuels scolaires jusqu’à la constitution ou la refonte et la privatisation de
la vie politique irakienne et de son industrie pétrolière. Chaque empire a
déclaré dans son discours officiel qu’il n’était pas comme les autres, que sa
situation était particulière, qu’il avait pour mission d’illustrer, de
civiliser, de ramener l’ordre et la démocratie, et qu’il n’utilisait la force
qu’en dernier recours. Et, plus triste encore, il y a toujours un chœur
d’intellectuels prêts à prononcer des paroles tranquillisantes sur les empires
bienveillants ou altruistes, comme s’il ne fallait pas se fier à l’évidence de nos
propres yeux qui observent la destruction, la misère et la mort causées par la
dernière mission civilisatrice.
Concernant
la matérialité du massacre – des Gazaouis en premier lieu, en raison de la
déshumanisation discursive dont sont victimes les Palestiniens et de la
pratique génocidaire ici en cause, mais aussi des Israéliens et des étrangers,
et des animaux non humains, puisqu’ils font tous partie de la même toile de
bataille – arrêtons-nous un instant sur une phrase de Said relative à la
négation du génocide : « comme s’il ne fallait pas se fier à l’évidence de nos
propres yeux qui observent la destruction, la misère et la mort ». Le déni
repose sur un régime de visibilité et de dicibilité. Concernant la matérialité
de l’extermination, on pourrait dire qu’elle n’a pas été « proportionnée » à
l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, mais elle a été consistante par
rapport à la disproportion de l’extermination que le gouvernement sioniste
israélien a systématiquement et régulièrement menée en Palestine depuis
plusieurs décennies – basée sur le nettoyage ethnique, la
répression des révoltes et les « représailles » aux attaques de la résistance
armée à l’occupation. Il y a quelques jours, Claudio Aguayo, a propos de ce
dernier et autour d’une observation politique faite par Lev Trotski, à savoir
que dans la guerre les méthodes sont symétriques, mais les parties
belligérantes ne le sont pas nécessairement – c'est-à-dire que toutes les
méthodes sont symétriquement atroces, mais les relations de pouvoir peuvent
être qualitativement asymétriques, relations d’oppresseur-opprimé – Aguayo a
formulé la remarque suivante : Dans la guerre il n’y a pas de gentils avec de
mauvaises méthodes et de méchants avec de mauvaises méthodes, car ce
manichéisme ne sert qu’à sauver les oppresseurs lorsqu’ils sont soudainement frappés
et que qu’en outre, il
ignore le fait que la pitié du monde pour les corps israéliens et le silence
sur les corps palestiniens équivaut inconsciemment à dire que les corps blancs
doivent nous produire deux fois plus d’affliction.
En ce qui
concerne la consistance et la systématicité du génocide, dans cette conjoncture
la question problématique de « l’intention » ou non du génocide de la part du
commandement politico-militaire semble clair : il ne s’agit pas d’une simple
assignation d’intention (au sens paranoïaque du droit sécuritaire ou de délire
conspirateur), mais de sa déclaration explicite dans une clé
théologique-nécropolitique : la scène de Benjamin “Bibi” Netanyahu revisitant
la rhétorique d’Amalek pour justifier bibliquement l’opération militaire et le
sacrifice des ennemis de son dieu et de son peuple. Mais
malgré tous les faits et déclarations du génocidaire lui-même, certaines
expressions de négationnisme prolifèrent encore dans le débat universitaire, à
part le silence — comme on peut le voir, par exemple, dans la discussion en
France entre Didier Fassin (qui a utilisé le concept de « génocide » pour faire
référence à la campagne israélienne) et Eva Illouz (qui a suggéré qu’il serait
préférable de parler de « crimes de guerre », puisque génocide impliquerait « l’intention
d’exterminer », ce qui, selon elle, ne s’est pas produit dans ce cas). Jürgen
Habermas – homme de premier plan de la « théorie critique », de la « sphère
publique » et de « l’unité » européenne – affirme pour sa part, dans une lettre
signée avec d’autres intellectuels allemands, que la
situation actuelle a été « créée » (geschaffen, created, creada)
par « l’extrême atrocité du Hamas et de la réponse d’Israël en conséquence » (comme
si les Palestiniens n’avaient pas subi plus de soixante-dix ans de
nettoyage ethnique et de déplacements forcés, d’occupation de territoires, de
configuration de camps de concentration, de blocus économique, de siège par
terre et mer, de massacres réguliers et de répression quotidienne en état
d’exception) ; ils soutiennent en outre que « les critères de jugement (Maßstäbe
der Beurteilung, standards of judgement, criterios de juicio)
échouent complètement lorsque des intentions génocidaires sont attribuées aux
actions d’Israël ». Habermas et les autres signataires se montrent « solidaires
d’Israël et des Juifs d’Allemagne », préoccupés par « l’antisémitisme »
déclenché par les actions d’Israël (comme si le génocide palestinien n’était
pas un antisémitisme) et par
la menace qui pèse sur les valeurs occidentales de démocratie et des droits de
l’Homme ; mais pas un mot sur le massacre de Palestiniens. Tout au plus
soulignent-ils que « la manière dont s’exercent ces représailles, en principe
justifiées, fait l’objet d’un débat controversé », mais, au lieu de remettre en
question telle « manière », ils se mettent à réciter – comme s’ils
s’accomplissaient – les « principes de proportionnalité, de prévention des
pertes civiles et de conduite d’une guerre avec des perspectives de paix future
» (même si on laisse de côté la logique police-civilisationnelle de «
pacification » en jeu ici, il est naïf de penser que l’actuel massacre laissera
« la paix » comme solde pour les décennies à venir). Dans cette rhétorique, le
déplacement vers des questions formelles de principe est précisément ce qui
rend invisible la souffrance historique et l’extermination des corps
palestiniens (logique de disparition, machine à effacer). Comme cela se produit
dans l’esthétique fasciste qui, à partir de sa (ré)invention du corps
(sujets, corps sociaux), regorge de formes et de symboles, tout
en effaçant le sacrifice de la chair.
En ce
sens, nous assistons à la conversion de la « sphère publique » en un espace de
propagande dans un contexte de guerre permanente : le libéralisme devient
néofascisme – dans sa figure de fascisme néolibéral – et « l’agir
communicationnel» coïncide avec la propagande de la « démocratie » comme
dispositif représentationnel occupé par la machine de guerre néolibérale – qui
s’affirme comme « l’Occident » et a l’un de ses fers de lance dans le projet
raciste et théologique-nécropolitique de l’État sioniste d’Israël. Dans ce
sens également, par rapport à l’apparente perplexité produite en l’attitude de
la « communauté internationale » face à ce qui se passe à Gaza – silence actif,
négligence diligente –,
rappelons, entre autres épisodes, Rwanda 1994 et Srebrenica 1995. Et le racisme
et le fascisme ne sont pas des choses qui arrive à « l’Occident démocratique et
libéral » comme de simples accidents historiques, mais plutôt inhérents à la
logique dans laquelle une entité géopolitique et culturelle s’affirme comme
telle : le racisme et le fascisme sont impliqués dans leur propre logique
humaniste et civilisationnelle, puisque le racisme comme revers
sacrificiel de l’humanisme, et la fermeture policière du monde qu’est le fascisme,
sont inhérents à la téléologie du progrès civilisationnel (la « démocratie
occidentale » et la « démocratie pour les juifs », sur différentes échelles, se
co-appartiennent en tant que logiques d’inclusion/exclusion et de vocation
hégémonique).
Le
scénario est donc inquiétant. Une partie décisive de la communauté
internationale soutient « en principe » clairement et abondamment le génocide,
que ce soit par action ou par omission. Ceux qui sont bienpensants et
humanistes envoient des quantités discrètes de caisses « d’aide humanitaire » et
d’argent à la Palestine et prônent la paix dans les forums politiques internationaux,
en même temps qu’ils ne cessent d’approvisionner la machine de guerre
d’extermination en maintenant la validité ou en promouvant d’énormes contrats
technologiques-militaires avec Israël – l’humanisme fournit la
catastrophe, et les humanistes se limitent à faire le contrôles des dommages accompagnés
d’aide humanitaire, sans remettre en question leur propre imagination et
leur écologie politique. Les contrats technologiques-militaires ne sont pas
suspendus « pour des raisons de sécurité », affirme-t-on. Mais aujourd’hui plus
que jamais, il est évident que nous vivons dans un monde où plus la « sécurité
» est grande, plus la terreur est grande. Nous devons donc témoigner d’un
des génocides les plus terrifiants de l’histoire, soutenu par « l’Occident de
la démocratie et de la liberté » – une fois que le dispositif de représentation
de la démocratie hégémonique a été occupé par la machine de guerre néolibérale
(qui était autrefois l’extrême droite, et occupe maintenant le « centre »
politique, dans le langage des « batailles culturelles »).
L’armée
israélienne intensifie les bombardements, les chars sont entrés dans Gaza et il
y a une coupure totale d’Internet et de communication. Le monde est témoin d’un
génocide colonial – qui s’intensifie aujourd’hui, mais qui n’a cessé de se
produire depuis des décennies – absolument naturalisé. La soi-disant «
communauté internationale » (c’est-à-dire l’oligarchie internationale
occidentale dirigée par la machine gouvernementale « américaine »)
non seulement est témoin, mais soutient l’État d’Israël dans son carnage.
L’Europe, réduite à un parc à thème, à la traîne de tout et en train de
s’autodétruire, ne fait que tomber et tomber encore. Ainsi, le XXIe siècle
commence à connaître les profondeurs de son ignominie. « Liberté », «
démocratie », « civilisation », tous les concepts modernes qui soutiennent
l’imaginaire politique « occidental » ne sont aujourd’hui plus que des coquilles
catégorielles qui brûlent sur la barricade de l’histoire – de cette temporalité
dont la figure est le « progrès » (l’avance de l’évangélisation sur le
paganisme, l'avance de la civilisation sur la barbarie, l'avance de la
démocratie néolibérale sur la tyrannie et le sous-développement) se révèle
aujourd’hui comme un dispositif de hiérarchisation sacrificielle de la vie, comme
dévastation inconditionnée, comme la nakba.
Santiago
du Chili / Californie, États-Unis, 29 novembre 2023.
* Initialement publié en espagnol : «
Palestina, democracia humanista y genocidio », dans El Ciudadano (2
décembre 2023) et dans Machina et Subversio Machinae (10 décembre 2023).
Republié en anglais : « Palestine, humanist democracy and genocide » (27
mars 2024). María Emilia Tijoux est docteure en sociologie de l’Université de
Paris et professeur au Département de Sociologie de l’Université du Chili.
Gonzalo Díaz-Letelier est ©docteur en langue et littérature hispaniques et
instructeur associé au Département d’Espagnol de l’Université de Californie
Riverside. Traduction de l’espagnol vers le français par Gonzalo Díaz-Letelier ;
révisée par Baptistine Guevart.
En espagnol :
https://www.elciudadano.com/columnas/palestina-democracia-humanista-y-genocidio/12/02/
https://contemporaneafilosofia.blogspot.com/2023/12/gonzalo-diaz-letelier-maria-emilia.html
En anglais :
https://contemporaneafilosofia.blogspot.com/2024/03/gonzalo-diaz-letelier-maria-emilia.html
Foucault thématise la question de la parrhesía
au cours des années 1981-1982, « « L’herméneutique du sujet »
(1981-1983), comme une question éthique liée aux pratiques de direction de la
conscience et aux techniques de soin de soi ; plus tard, il l’a abordé comme
une question politique liée à la naissance de la démocratie, dans les deux
derniers cours du Collège de France, « Le gouvernement de soi et des autres »
(1982-1983) et « Le courage de la vérité » (1984), ainsi que lors d’un
séminaire qu’il a donné à Berkeley, publié sous le titre « Discurso y
verdad »
(1983).
Dans la nuit du 28 octobre, après trois
semaines de campagne contre Gaza, le Premier ministre du régime israélien,
Benjamin Netanyahu, a tenté sans pudeur de justifier l’horreur en qualifiant le
Mouvement de Résistance Islamique Palestinien (HAMAS) de répétition d’Amalek,
la tribu biblique que, selon les livres saints, Dieu ordonna d’anéantir. Les
versets cités par Netanyahu (du Deutéronome et de Samuel, livres
de la Torah juive et de l’Ancien Testament chrétien) sont parmi les plus
violents et ont une longue histoire d’instrumentalisation par les sionistes
pour justifier le massacre des Palestiniens. Cf. Deutéronome, 25, 17 : «
Tu dois te souvenir de ce qu’Amalek t’a fait (…), nous devons nous souvenir » ;
« Tu effaceras de dessous le ciel la mémoire d’Amalek. Tu n’oublieras
pas »; et Samuel 15 :13, un passage dans lequel Dieu ordonne
au roi Saül de tuer tous les habitants d’Amalek, une nation rivale des anciens
Juifs, et de détruire complètement tout ce qui leur appartient : « Maintenant,
va attaquer Amalek et détruis complètement tout ce qu’ils possèdent, et ne leur
pardonnez pas. Mais tuez l’homme et la femme, l’enfant et le nourrisson, le
bœuf et le mouton, le chameau et l’âne ».